mardi 18 mai 2010

2 juin 1940 : la fin de Chella (Paquet)

Dans l’entre-deux-guerres, la Compagnie Paquet exploitait une ligne Marseille / Oran / Casablanca avec extension jusqu'à Dakar en fonction des saisons. Les paquebots Maréchal Lyautey, Médie II, Chella, Koutoubia et Iréméthie II desservirent cette ligne.

Parmi eux, Chella était considéré comme l'un des plus beaux et plus luxueux. Construit pour remplacer Nicolas Paquet, perdu par échouage en 1933, il fut lancé à La Seyne par les Forges et chantiers de la Méditerranée en 1934 et mis en service l'année suivante. Il mesure 138 mètres LHT, près de 19 mètres de large, son tonnage brut est de 8 921 TJB. Sa puissance de 15 300 CV lui permet d'atteindre 20 noeuds. Il peut transporter 556 passagers en 3 classes.

Le Chella vu par Albert Sébillle.


Le Chella croisa à deux reprises (au moins) le chemin de célébrités.

Lyautey et Chella

En 1935, pour ramener, selon ses derniers souhaits, les cendres du maréchal Lyautey au Maroc, on embarqua son cercueil sur le croiseur Dupleix, escorté de deux contre-torpilleurs. Une équipe de ses derniers officiers, Keller, du Souzy, Durosoy, Pélier, Boisboissel, l’accompagnait pendant que sa famille autour de la maréchale, ses autres collaborateurs et amis et des personnalités de haut rang remplirent le paquebot Chella de la Compagnie Paquet, spécialement affrêté pour l’occasion. (source : Henry de Boisboissel)

Céline et Chella

Après la déclaration de guerre de 1939, Louis-Ferdinand Céline "va vivre à bord un épisode bouffon, très célinien. En septembre, il devient médecin maritime pour la compagnie Paquet. Il embarque donc sur le Chella, qui assure la ligne vers le Maroc. Mais dans la nuit du 5 au 6 janvier 1940 devant Gibraltar, le navire éperonne par mégarde un aviso britannique. Il y a vingt-sept morts du côté anglais et le docteur Destouches (vrai nom de Céline) soigne les victimes. Le Chella rallie tant bien que mal Marseille." (François Gibault, dans Lire hors-série n°7).

L'épisode sera évoqué par Céline dans "Entretiens avec le professeur Y" : "...devant Gibraltar !... nous coulâmes un
petit anglais, l’aviso Kingston Cornelian... nous lui passâmes par le milieu ! nous le fîmes couler corps et biens... nous à vingt et deux nœuds ! pensez ! 11.000 tonnes ! il n'a pas fait ouf ! on était gros, il était
petit, il a pas eu le temps !
- Eh bien ! eh bien !
- Y a pas d'« eh bien » ! médecin maritime du Chella ! splendide unité, Colonel, le Chella !... tout armé, proue en poupe ! nous le découpâmes par le milieu cet effronté ! toutes ses grenades firent explosion !... il nous déchira sur seize mètres ! seize mètres de coque de longueur !... mais lui, comme trou dans l’eau, pardon ! corps et biens ! corps et biens !... c’est pas Trafalgar tous les jours... ils ont eu beau nous faire passer en Conseil de Guerre maritime !... trop tard ! trop tard. nous filions nos vingt et deux nœuds...
"

Céline est en fait volontaire mais trop vieux pour aller au front et invalide à 75% depuis la Première Guerre mondiale après des faits d’arme qui lui valurent des médailles et la quatrième de couverture en couleur de L’Illustré national. Il devient donc médecin de bord sur le Chella, réquisitionné pour des transports d’armes : «Militaire comme tu me connais, tu ne seras pas surpris de me voir devenu médecin de la marine de guerre et embarqué à bord d’un paquebot armé» écrit-il à un de ses amis, le docteur Camus.
Il écrit aussi à René Arnold : «Gibraltar 11 janvier [1940] À peine venais-je de vous écrire que nous faisions naufrage devant ce port. Heureusement (si l’on peut dire) sauf, mais ayant expédié au fond 24 vaillants anglais. Collision de détroit ! avec explosion - et blessés partout. Quelle nuit ! Quelle longue nuit ! Nous rejoindrons Marseille plus tard et puis je rechercherai un embarquement. Comme la vie est aléatoire!». Enfin il précise, toujours professionnel : «Les médicaments font merveille! après cette nuit dans l’eau que de bronchites guéries, prévenues!»

La fin de Chella

Depuis le mois de mai 1940, le territoire français subit les assauts terrestres et aériens des forces du IIIème Reich. En ce matin du 2 juin, c'est au tour de Marseille de trembler. La Luftwaffe s'attaque depuis hier fois au grand port méditerranéen. Chella, devenu croiseur auxiliaire X 12, est à quai, dans l'habit de guerre qu'il a revêtu depuis quelques semaines pour transporter des troupes. Dès les premières vagues de bombardement, le navire est touché par les bombes et pend feu. Le risque d'explosion est énorme car les soutes de Chella sont remplies de munitions. Courageusement, cinq remorqueurs et leurs équipages le hâlent afin de tenter d'éviter le drame en plein bassin. Mais, à peine sorti du bassin, le paquebot est le siège d'explosions et devient un énorme brasier flottant. Pour hâter sa fin, il faut le couler au plus vite. C'est au Cyrnos, de la compagnie Fraissinet, devenu lui aussi croiseur auxiliaire, que l'on fait appel. Une quarantaine de tirs seront nécessaires pour couler ce qui avait été un magnifique paquebot blanc. Sa coque restera visible jusqu'à son démantèlement sur place en 1954.


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