vendredi 7 janvier 2011

Le naufrage du Morro Castle



Parmi les paquebots de la Ward Line, Morro Castle est certainement le plus célèbre mais pour une bien triste raison, celle de sa perte par incendie le 8 septembre 1934.

Le Morro Castle est un beau navire, spécialement destiné à cette ligne. Il a été lancé le 5 mars 1930 par les chantiers de Newport News en Virginie pour un coût estimé à US$ 5 millions, son armateur bénéficiant des subventions de l'état américain pour relancer l'économie mise à terre par la crise de 1929. Le navire porte le nom de la célèbre citadelle qui veille sur l'entrée du port de La Havane depuis 1589. Son sister-ship, Oriente, ne sera pas retenu par l'histoire et ne restera dans la mémoire que de quelques passionnés de navires. Les deux paquebots apparaissent comme les plus belles unités de la flotte de la compagnie qui détient la convention du transport du courrier à destination de Cuba.



Le départ du voyage inaugural a lieu le 23 août 1930. Même si la date n'est pas favorable en raison de la crise économique qui secoue le pays, les voyages du paquebot vont permettre à certains Américains d'oublier pendant une semaine les problèmes économiques. Ses dimensions ne sont pas celles d'un transatlantique mais ses locaux confortables et la décoration est recherchée. Calquée sur celle de certains navires européens très appréciés de la clientèle américaine, elle comprend un salon de style Louis XVI, un fumoir Renaissance et un salon Empire. Le bois, omniprésent dans sa décoration et son mobilier, donne une sensation d'environnement confortable voire luxueux, comparable à celui d'un yacht privé. Les passagers gardent généralement un bon souvenir de leur passage à bord d'un beau navire. C'est particulièrement vrai en ce début des années trente ; les effets de la récente crise économique qui a mis le monde à plat commencent à s'estomper, ce voyage d'une semaine au départ de New York est l'occasion pour beaucoup de ses passagers de voir se concrétiser le retour à une vie normale. Cette croisière au départ de New York vers La Havane (qui est la seule escale) se déroule toutes les semaines. Enfin, quelques mots de technique pour préciser que les deux machines General Electric du navire lui procurent une puissance de 16 000 CV et lui permettent d'atteindre la vitesse de plus de 20 nœuds.

Le navire a quitté La Havane le 4 septembre pour gagner New York ainsi qu'il le fait régulièrement depuis sa mise en service en août 1930. Pour ce voyage, se trouvent à son bord 318 passagers, pour la plupart des touristes et 240 hommes d'équipage. Hier soir déjà, le 7 septembre, lors du voyage de retour, s'était produit un événement exceptionnel dans l'histoire de la marine : le capitaine Robert Wilmott avait été trouvé mort dans sa salle de bains. Le décès de cet officier de 55 ans n'avait pas manqué de laisser les rares personnes s'interroger au courant mais la conclusion d'un décès pour raison cardiaque semblait les satisfaire. Le commandement avait donc échut au second, Williams Warms, à bord depuis un an, bon officier, expérimenté (ayant passé 35 ans à la mer après avoir commencé comme novice) mais dont on dit (et ses antécédents maritimes semblent le prouver) qu'il n'est pas très à cheval sur les points de règlement concernant la sécurité à bord.

Hormis cet événement tragique, la marche du navire se déroule sans problème malgré le fait qu'une chaudière ait été mise à l'arrêt, à environ 20 nœuds, et l'horaire est respecté malgré la pluie importante et une mer qui forcit d'heure en heure. Le navire devrait atteindre le port de New York d'ici une douzaine d'heures. Pendant ce temps, les passagers se préparent à assister au dernier dîner de la croisière et à profiter de leur dernière soirée à bord. Peu après minuit, les premières lumières de la côte du New Jersey deviennent visibles, comme pour annoncer que la fin du voyage et maintenant très proche. A deux heures, le nouveau commandant est encore à la passerelle malgré l'heure tardive et en la quittant, il décide de faire le tour de ce navire dont il a maintenant la responsabilité. Quelques passagers sont encore debout, certains sous les effets de cet alcool dont ils vont à nouveau être privés dans les heures qui viennent. Warms, à part cela, ne remarque rien de particulier. Revenu à sa cabine, il est rapidement informé qu'un départ de feu a été remarqué au salon d'écriture. Logiquement, il envoie un homme sur place pour faire le point de la situation. Celui-ci détermine l'origine de l'incendie : un réduit du salon d'écriture. Malgré son apparente innocuité, le feu résiste aux tentatives de l'officier de l'éteindre au moyen de l'extincteur dont il s'est muni. Rapidement, le feu prend de l'importance, aidé dans sa propagation par les boiseries de la décoration. L'alerte est donnée parmi l'équipage, des hommes arrivent sur les lieux mais les quelques lances à incendie mises en action ne bénéficiant que de peu de pression (en raison de la chaudière arrêtée), les incendies se propagent ; les flammes et la fumée commencent à envahir plusieurs parties du navire. C'est maintenant dans tout le navire qu'il faut lutter mais le combat est rendu difficile toujours par ce manque de pression dans les conduites mais aussi par le temps nécessaire à la mise en œuvre de conduites qui avaient été verrouillées afin d'éviter qu'elles ne deviennent un instrument de jeu pour certains passagers trop alcoolisés comme cela avait déjà été le cas lors d'un précédent voyage.

A la passerelle, où aucun signal d'alerte n'a retentit, le commandant décide alors de diriger le navire vers la côte du New Jersey. Mais le vent attise l'incendie qui ravage maintenant plusieurs ponts , la fumée s'insère partout y compris dans la salle de radio où les deux opérateurs attendent les ordres. Beaucoup de choses seront dites ultérieurement sur les deux hommes, en particulier sur le responsable du service George White Rogers pour lequel on parlera de "psychopathie" et de passé délictueux. Son second, George Alagna, aurait quant à lui été un agitateur social. Quoi qu'il en soit, ils firent plusieurs tentatives pour joindre la passerelle et demander des ordres, soit en s'y rendant soit en cherchant à la joindre téléphoniquement. Toutes les tentatives furent vaines. Pendant ce temps, la cabine radio subit de plus en plus de dégâts créés par la chaleur qui y devient insupportable et émanations gazeuses provenant des batteries des appareils. Enfin, à 3 heures 20, le message de détresse est envoyé



Bien qu'aucune annonce officielle n'ait été faite, les passagers, dont la fumée et le bruit ont attiré l'attention commencèrent à se rassembler sur les ponts. Les scènes de panique commencèrent avec les cris des passagers certains se mettent à prier ou à chanter, d'autres invectivent les quelques hommes d'équipage présents qui n'ont reçu aucun ordre et parfois même ne comprennent pas l'anglais des passagers. La panique gagne également certains marins ; les passagers réclament des gilets de sauvetage que les marins ne peuvent fournir, les embarcations de sauvetage fonctionnent mal ou pas du tout. Certaines sont abaissées par les passagers eux-mêmes et donc dans de mauvaises conditions. Des passagers commencent à sauter par-dessus bord

Dans la nuit, les flammes émergeant du Morro Castle sont aperçues de plusieurs endroits. De terre d'abord par un poste d'observation de l'US Coast Guard. Mais depuis la mer également. Cela explique que, même si aucun message de détresse n'a encore été envoyé du navire en détresse, plusieurs autres navires qui naviguent à proximité sont déjà informés de l'accident.



Plusieurs navires se détournent de leur route pour se diriger rapidement vers les lieux du sinistre. Le cargo Andrea Luckenbach est le premier à y parvenir. Il est alors 4 heures 30. Immédiatement, ses canots sont descendus à l'eau et recueillent une vingtaine de passagers qui avaient sauté des ponts ou même des hublots de leur cabine. Le paquebot Monarch of Bermuda, de la Furness Line, en recueille peu après 71. Parmi les autres navires qui portent secours se trouvent le President Cleveland, le City of Savannah, le cutter Tampa de l'US Coast guard et le destroyer USS Chester. Arrivent également sur place des bateaux venus de terre. Le premier d'entre eux, le Sea Girt lui aussi de l'USCG, qui avait été envoyé dès que les flammes du Morro Castle avaient été aperçues du rivage. Il recueille 70 personnes qui sont rapidement transférées sur l'Andrea Luckenbach. D'autres petites embarcations se lancent également dans le sauvetage depuis le bord, chacun ramènera quelques survivants

Le commandant Warms accepte la proposition du commandant du Tampa de tenter le remorquage du paquebot. Mais de nombreuses difficultés sont à résoudre. Le paquebot en détresse va être pris en remorque par le Tampa, cutter de l'US Coast Guard. Mais il faut du temps pour cela, pour mettre la remorque en place. Enfin c'est chose faite et le remorquage peut commencer sur une mer qui ne s'y prête pas tant elle est violente et le cutter peu adapté à cette tâche. Mais finalement, après que la remorque ait cassé, la carcase encore fumante du paquebot va 'échouer sur la plage d'Asbury Park. C'est là que ds hommes montés à bord pourront inspecter le navire. Il y trouveront les corps ds officiers restés à bord et des 134 morts qui n'ont pu quitter le navire à temps.





Malgré les apparences que la compagnie laissait régner, le Morro Castle n'était pas un " navire heureux ". En particulier, de nombreux membres de l'équipage se plaignaient des conditions de travail et d'un salaire parfois inférieur aux règles de la profession. Seule la difficulté à trouver un emploi durant cette époque économiquement troublée les faisait rester à bord. Plusieurs membres d'équipage n'hésitaient d'ailleurs pas à faire connaître leur mécontentement : parmi ceux-ci figure l'opérateur radio Georges Alagna, d'autres profitaient de ces voyages pour faire de la contrebande d'alcool en ces temps où la prohibition régnait sur le territoire des états-Unis. Et bien entendu, comme dans tout rassemblement humain, il faut faire avec les mésententes et rivalités entre les hommes comme par exemple entre Warms le commandant récememnt promu et Abbott le chef mécanicien.

Après avoir envisagé de nombreuses hypothèses, dont certaines faisant été des rumeurs que nous verrons plus loin, l'enquête officielle, qui se déroula le 10 septembre, aboutit simplement à la conclusion d'un incendie accidentel par la combustion spontanée de solvants utilisés pour l'entretien du navire. Les conséquences de l'incendie ayant été aggravées par le retard à donner l'alerte et la mauvaise gestion de l'équipage dans le domaine des interventions d'urgence. Deux officiers, Warms, le commandant et Abbott, le chef-mécanicien, furent poursuivis devant un grand jury pour négligence envers les devoirs de leur fonction. La condamnation d'emprisonnement qui fut prononcée sera annulée en appel.

Tous les naufrages de grands paquebots ont fait l'objet de récits discordants faisant intervenir des éléments non contrôlables. Il est toujours facile a posteriori de rappeler que tel ou tel a fait état d'une prémonition ou qu'une lettre annonçant un imminent désastre avait été reçue au siège de la compagnie. C'est souvent le cas après une catastrophe. Ainsi le Morro Castle n'échappa pas à de telles rumeurs : avant de mourir le commandant avait prévenu son second qu'il sentait que quelque chose allait se produire

Et puis n'y avait-il pas déjà eu un incendie à bord lors d'un voyage précédent qui avait été attribué à des agitateurs communistes ? ou peut-être à un incendie d'explosifs entreposés dans cette cale ? de même, il a été dit que certains marins se livraient à un trafic d'armes. Certains soutiennent que le commandant Wilmott avait été informé par la police cubaine peu avant l'appareillage qu'un attentat devait avoir lieu à bord et que sa propre vie était en jeu. C'est vraisemblablement pour cette raison qu'il n'apparut que peu au cours de la traversée, donnant la plupart de ses ordres par téléphone. Sont néanmoins surprenants ses ordres de débrancher le système de détection de fumée et d'annuler l'exercice de sauvetage… le comportement du chef mécanicien Abott n'est pas non plus sans poser de questions. Pourquoi cet officier expérimenté se retrouve-t-il, au beau milieu d'une vrie situation d'urgence, en uniforme sur la passerelle au moment où il serait plus utile auprès de ses machines? Comment se fait-il qu'on le verra monter parmi les premiers dans un canot de sauvetage, qu'entouré d'autres membres d'équipage, il ordonnera d'affaler

L'origine de l'incendie a bien sûr fait elle aussi l'objet de spéculations y compris l'hypothèse de l'incendie criminel allumé par un officier dont la compagnie ne savait pas reconnaître les mérites… Aucune cause précise et certaine n'a jamais été avancée pour expliquer l'embrasement de ce placard de la salle de lecture, même si le stockage du "Lyle gun" (matériel destiné à permettre une évacuation rapide par filin et utilisant une petite charge explosive) a joué un rôle initiateur ou aggravant.

Au moment de dresser le bilan définitif, on retient le chiffre de 134 morts (dont 90 passagers). Le fait que le navire s'échoua sur la côte du New Jersey joua un grand rôle dans le caractère spectaculaire de l'accident. Il est en effet exceptionnel que le grand public puisse voir de ses propres yeux la coque calcinée d'un grand paquebot gisant sur une plage à marée basse. Celle du Morro Castle restera plusieurs mois sur la plage d'Asbury Park, devenant l'objet de promenades familiales et subissant les effets du vent et de la mer. Il faudra attendre plusieurs mois avant que l'épave ne soit renflouée puis remorquée vers Baltimore et démolie.






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