mardi 5 novembre 2013

La fin d'Afrique, cargo mixte de la compagnie des Chargeurs réunis, est considérée comme la plus grande catastrophe maritime française


Construit au chantier naval Swan Hunter et Wigam Richarson (River Tyne, Angleterre), lancé le 21 novembre 1907, le cargo mixte Afrique est mis en service le 22 juillet 1908. Long de 119,17m, maître-bau 14,75m, tirant d'eau 6,46m, port en lourd 7832t, 5 406 tjb. Propulsé par 2 machines à vapeur, 2 hélices, puissance 7200ch permettant une vitesse de 17,5 nœuds. 227 passagers pour un équipage de 136.


Sa ligne était l'axe Bordeaux-Dakar-Ténérife mais son registre mentionnait juste le dernier port touché avant la date d'entrée à Bordeaux et ne faisait pas allusion aux nombreux ports d'Afrique française (AOF et AEF) vers où le paquebot acheminait sa marchandise. Afrique servit pendant toute la Première Guerre mondiale avec une de ses deux cheminées peinte en jaune pour faire croire qu'il appartenait à une compagnie belge qui (à l'époque) rapatriait des soldats allemands (en vérité il amenait des troupes coloniales et du matériel vers la guerre des tranchées).

Le nombre exact de passagers embarqués fut difficile à établir mais on sait désormais qu'il s'élevait à 602 passagers dont 28 militaires non-africains, 192 tirailleurs indigènes, dix indigènes civils, 106 personnes de première classe (y compris 19 enfants), 67 de deuxième classe et 81 de troisième dont certains étaient entassés sur l'entrepont avec les laptots (matelots indigènes). Parmi ces passagers, on trouve une dizaine de religieux, beaucoup de militaires, des fonctionnaires de haut rang et subalternes, des commerçants, des représentants de groupes industriels venus investir en Afrique mais aussi des épouses, parfois avec leurs enfants, rejoignant leurs maris.
L’Afrique transportait aussi cinq cents tonnes de « divers » en grande partie des colis postaux, des produits manufacturés, du champagne… Le coffre de bord aurait contenu 20 millions de francs en billets pour différentes compagnies et la légende veut que Mgr Jalabert ait transporté de l'or confié par le pape pour construire une cathédrale à Dakar.
Le 10 janvier 1920, de l'eau s'engouffre dans la cale de la chaufferie. Apparemment anodin, l'incident va mener à la catastrophe. Les pompes encrassées ne peuvent plus rien et les hommes tentent d'écoper à la main. Pendant ce temps, la mer grossit.

Le commandant Le Dû décide de faire route vers La Pallice. Un premier message radio est envoyé le 11 à 0 h 05 à destination de la compagnie des Chargeurs réunis. Le navire est à ce moment à 70 milles dans le S 70 W (250°) de la Coubre, le plateau de Rochebonne est sous le vent à environ 55 milles dans le N 15 E. Le navire peine à virer pour prendre le cap de La Pallice,  d'autant plus que la tempête s'est transformée en ouragan.
À sept heures du matin, le 11 janvier 1920, le commandant fait part de la situation qui s'est détériorée et demande du secours par TSF sur la longueur d'onde des 600 mètres.
Deux remorqueurs de la Marine nationale basés à Rochefort (Cèdre et Victoire) se préparent à appareiller mais ce ne sont que de petites unités, remorqueurs de port. Toutes les communications avec les navires « sauveteurs » et la terre se font en Morse.
Dès 8 h 30, le Ceylan va se manifester. Plus grand et plus performant, il a été construit la même année que l’Afrique par le même chantier, et appartient aussi aux Chargeurs réunis. C'est un cargo postal, parti de Bordeaux le 10 janvier pour l'Amérique du Sud. Il s'est donc présenté au débouché des passes de la Mauvaises vers 5 h 30, avec à peu près les mêmes conditions de hauteur de marée que l’Afrique mais avec le vent dans le dos. Moins de 2 h après le message d'alerte, il se déroute vers le navire en difficulté. A 14 h, le commandant de l’Afrique apprend que les deux remorqueurs n'ont pas pu dépasser l'île d'Aix à cause du mauvais temps. Vers 15 h 30, le Ceylan annonce son arrivée. Incapable de remorquer l’Afrique, il se contente de l'escorter alors qu'il essaye péniblement de se remettre en route avec une seule machine encore en état de marche.
Vers 18 h, la dernière machine en marche stoppe par manque de pression. Les chauffeurs ont de l'eau jusqu'au ventre et l'approvisionnement en charbon est presque impossible. L’Afrique est à nouveau malmené par le vent et dérive à environ 7 à 8 milles du bateau-feu de Rochebonne. La salle des machines est abandonnée à 20 h . Vers 21 h 30, l’Afrique signale qu'il va être obligé de stopper sa dynamo. Tout en continuant de monter, l'eau a envahi toutes les machines et la chaufferie mais pas les autres compartiments isolés par des cloisons étanches (le bateau en compte 14). 



L’Afrique dérive lentement vers le bateau-feu de Rochebonne. Le 11 janvier à 22 h, le bateau le heurte par tribord devant et par le travers de la cale 2, mais la bouée ne s'arrête pas là et continue de heurter plusieurs fois le navire. Une forte voie d'eau dans les aménagements des 3e classes oblige à évacuer tous les passagers et le personnel en fermant les portes étanches, l'opération est terminée à 23 h 30 environ. À minuit, le commandant décide qu'il est temps de lancer les embarcations de sauvetage à la mer. L'un après l'autre, presque tous les canots sont emportés dans la pagaille causée par le refus des passagers de monter à bord, apeurés par la tempête. 
Il n'y a eu que 34 rescapés sur les 602 personnes à bord, les 12 hommes de la baleinière 5 (qui transporte aussi le seul civil survivant) qui accosteront à Saint-Vincent-sur-Jard et les 23 autres ayant été repêchés par le Ceylan.




Source : La tragédie du paquebot Afrique de Roland Mornet, 2006, Geste éditions

L'affaire du naufrage de l'Afrique a fait l'objet d'une séance au parlement français et a abouti quelques années plus tard, a une première organisation de remorqueurs d'assistance unique au monde, avec une subvention de l'Etat. Le sauvetage en Manche relevait alors de la Société Dunkerquoise de Remorquage et de Sauvetage, et de la Société des Abeilles du Havre. Le dispositif mis en place comportait un remorqueur à Brest (Union Française Maritime), un à Saint-Nazaire (Union Française Maritime), un au Verdon (Chambre de commerce de Bordeaux) et un à Marseille (Compagnie Chambon). Mise en place progressivement à partir de 1920, complète en 1923, un peu réduite en 1925 (station de Saint-Nazaire supprimée) l'organisation a quasi perduré jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.

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