vendredi 15 mars 2013

Petite histoire de la navigation d'avant la vapeur, les grands vaisseaux Sovereign of the Seas et Soleil-Royal


Suite de l'article du 12 mars 2013
J'ai eu entre les mains un exemplaire du Magasin pittoresque, un magazine français paru de janvier 1833 à 1938. Dans ce fourre-tout "pittoresque", j'ai trouvé un article intitulé Quelques détails historiques sur la forme des navires qui me semble-t-il pourrait intéresser nos lecteurs, pas tant sur le fond, peut-être, que sur la forme très datée (mi-XIXe siècle ?).
Galère du dix-septième siècle. L'usage des bouches à feu changea peu leur installation au cours des siècles.
«Jusqu'à la fin du dix-septième siècle, un modèle unique semble avoir prévalu pour toutes les constructions de navires. Les Espagnols et les Portuguais suivaient l'exemple des Vénitiens ; les Hollandais et autres peuples septentrionaux puisaient leurs connaissances nautiques aux mêmes sources : les Anglais eux-mêmes, si jaloux de leur suprématie navale, prenaient des maîtres italiens l'instruction nécessaire pour améliorer et fortifier leurs sauvages embarcations. On avait l'habitude de placer à l'extrémité de la proue, en matière d'ornement, une figure sculptée qui servait à distinguer les navires d'une nation de ceux d'une autre. Les Vénitiens avaient adopter de préférence un buste ; les Espagnols un lion ; les Anglais, surtout après l'accession des Stuarts, la figure du monarque régnant, soit à cheval, soit montant un lion. La poupe, au-dessus des fenêtres de la chambre, présentait une surface plane ou tableau, avec des des jours pratiqués à babord et à tribord donnant l'air et la lumière à la salle de la dunette. Sur ce tableau, les Vénitiens, les Espagnols, les Portuguais, plaçaient quelque saint ou quelque héros ; quant aux autres nations, elles se contentaient d'exposer sur la poupe les armoiries de l'Etat.
Avant la fin du seizième siècle, quelques bâtiments portuguais et espagnols portaient déjà jusqu'à 80 bouches à feu montées sur affûts. A cette époque, le plus fort vaisseau appartenant à la marine anglaise ne portait guère que que 50 canons ou pièces dignes de ce titre. Ceux des autres nations étaient encore plus faibles.

Le souverain des mers (Sovereign of the Seas), premier grand vaisseau construit en Angleterre.
Le souverain des mers (Sovereign of the Seas), construit en 1637 à Woolwich (Kent) «à la grande gloire de Sa Majesté britannique», comme dit une description du temps, était d'une décoration vraiment royale. On voyait à sa proue le roi Edgar à cheval, foulant aux pieds sept rois ; sur la tête de l'étrave, un amour monté sur un lion ; sur la cloison de proue, six statues : le Conseil, la Prudence, la Persévérance, la Force, le Courage, la Victoire ; sur l'entre-deux des gaillards, quatre figures avec leurs attributs: Jupiter avec son aigle, Mars avec le glaive et le bouclier, Neptune avec son cheval marin et Eole sur un caméléon. A la poupe, une Victoire déployait ses ailes et portait dans une banderole cette devise: Validis incumbite remis. Le Souverain des mers avait deux galeries de chaque côté ; ces galeries, ainsi que tout le vaisseau, étaient couvertes de trophées, d'emblèmes, d'écussons de toute espèce. (Pour voir une maquette de ce Sovereign of the sea, cliquez ici)
Sa longueur, de la proue à la poupe était de 232 pieds (anglais). Il portait  cinq lanternes, dont une , la plus grande, pouvait contenir jusqu'à dix personnes, debout, et à l'aise. Il avait trois ponts de bout en bout, un gaillard d'avant, un demi-pont, un gaillard d'arrière et une dunette. Son armement se composait comme suit : 30 sabords avec canons et demi-canons à la batterie inférieure; 30 sabords avec couleuvrines à la seconde batterie; 36 sabords pour pièces de moindre calibre à la trois!ème batterie; douze sabords au château d'avant et quatorze au demi-pont; enfin,  à l'intérieur, treize ou  quatorze pièces braquées; une multitude de meurtrières pour la mousqueterie, dix pièces de chasse et dix de retraite. Il avait onze ancres. «Le Souverain des mers, dit Charnock, fut le premier grand vaisseau construit en Angleterre. On eut, en le construisant, particulièrement en vue la splendeur et la magnificence. Il fut en quelque sorte l'occasion des plaintes sérieuses qui s"élevèrent au sujet des dépenses de la marine sous le règne de Charles Ier. Diminué d'un pont, ce vaisseau devint un des meilleurs bâtiments de guerre du monde entier. »Il est de fait que la suppression de ce pont, complété par l'abaissement de son château d'arrière, lui donna plus de stabilité qu'il n'avait d'abord.Or, pour la célérité, ce qu'il gagna en stabilité par ces changements, fut compensé par la longueur ajoutée à  sa mâture. Les Huniers, dès cette époque, introduisirent les volles importantes des navires. Les anciennes gravures nous montrent en effet les bâtiments du seizième siècle naviguant généralement sous les basses voiles. Depuis Le Souverain des mers cela n'eut plus lieu que dans des cas particuliers et forcés par l'état des éléments.Ce fut le capitaine Phineas Pett qui dirigea les travaux de construction et d'amélioration du Souverain des mers. Savant ingénieur, c'est à lui que la marine d'Angleterre dut ses progrès principaux. L'artillerie devint plus forte, et l'équipage fut plus nombreux et mieux logé. La marine entière se ressentit de ces progrès. Le Souverain des mers jaugeait 1637 tonneaux, chose qui, selon un historien du temps, méritait par dessous tout d'appeler l'attention du monde, attendu que ce chiffre reproduisait exactement la date de sa mise à l'eau. malgré le présage trois fois heureux que l'historien sus-dit voulut voir dans ce rapprochement, Le Souverain des mers eut la trite fin du Grand-Harry. Il périt comme ce dernier par les flammes dans un chantier où on le réparait, en 1696, après soixante ans de mer. Notons ici que Fuller, dans son histoire des Merveilles de l'Angleterre, convient qu'au commencement du dix-septième siècle, les Dunkerquois ont fourni les modèles des meilleurs navires construits à cette époque dans les ports britanniques. Une chose certaine, c'est qu'au moment où Louis XIV prit les rênes de l'Etat, la marine française n'existait point, à proprement parler.Voltaire prétend qu'en 1664, quelques frégates et un vaisseau en mauvais état constituait toute sa force. Il était réservé ) Colbert de la créer. Toutefois il faut reconnaître qu'avant lui, la France avait déjà eue des velléités maritimes. Après le siège de La Rochelle, Richelieu, jaloux des accroissements de la marine anglaise, avait donné une sorte d'impulsion aux idées navales, en armant tout aussitôt 50 vaisseaux et 20 galères; mais l'effet de cette impulsion n'avait duré qu'un moment. Colbert sut en donner une véritable et durable. Avec lui, en moins de cinq ans, la France posséda une marine triomphante. 
Soleil Royal, d'une magnificence jamais égalée.
Le plus renommé des vaisseaux français de cette époque fut le Soleil-Royal. Ce vaisseau était construit d'après les principes mi-anglais et mi-hollandais, c'est-à-dire qu'il tenait le milieu par sa forme entre les constructions anglaises qui avaient une rentrée excessive, et les constructions hollandaises qui en avaient une à peine sensible. 
Il était de 1600 tonneaux, avait 150 pieds de long, 48 de large et 16 de creux. Il portait trois lanternes sur le plus haut de la poupe et une seule grande hune. En qualité de vaisseau amiral, son grand mât arborait le pavillon blanc semé de fleurs de lys, avec un écusson aux armes de France, entouré ds ordres de Saint-Michel et du Saint-esprit. L'ornementation du Soleil-Royal avait une telle magnificence qu'il ne s'était jamais fait avant et qu'il ne se fit jamais depuis de construction navale aussi splendide. Le Soleil-Royal était armé de 120 canons en trois batteries complètes avec gaillards et dunettes. »


Soleil-Royal par le peintre de la Marine Albert Sebille.
Le Soleil-Royal est construit de 1668 à 1670 à Brest par le maître charpentier Laurent Hubac. Il est tout d’abord appelé Grand-Henry (en souvenir d'Henri IV), puis Royal-Soleil et enfin Soleil-Royal (référence à Louis XIV, le « Roi-Soleil »). La coque est lancée le 13 décembre 1669 ; elle fait 164 pieds et 6 pouces de long (de l'étrave à l'étambot), 44 pieds 6 pouces de large (sans bordages) et 20 pieds de tirant d'eau. Son premier armement est de 98 canons (de 36, 18, 12, 8 et 4 livres) sur ses trois ponts, ses gaillards et sa dunette. C’est un vaisseau de premier rang, doté comme le Royal-Louis (construit à Toulon), d’un gaillard d’avant ; seuls ces deux vaisseaux à l’époque disposaient de cette caractéristique sur ordre de Louis XIV. Ces vaisseaux-amiraux disposaient en outre comme autre marque distinctive de trois fanaux au sommet de leur poupe et un sur le mât d’artimon. Autre caractéristique propre à ces vaisseaux, tous les canons à bord sont en bronze, et non en fonte. Avec ses 2 000 tonneaux et ses 104 canons, sa coque noire, blanc, bleu et ventre-de-biche, coupée de listons d'or, c'est un bâtiment superbe. Avec les mantelets rouge vif de ses sabords et les éclatantes couleurs du bordé, il est décoré avec magnificence. Coysevox a taillé lui-même dans le cœur de chêne les figures de la poupe et de la proue, une sirène tenant à la main un globe terrestre. Les ornements de l'arrière sont sculptés par Puget. Cette magnificence sur un vaisseau de guerre peut surprendre. Elle ne doit cependant rien au hasard. Le navire, par la combinaison de ses canons et la richesse de son décor doit illustrer toute la puissance de Louis XIV, le « Roi Soleil », alors en pleine gloire.
Vaisseau-amiral de la flotte du Ponant pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Il est brûlé à l'issue de la bataille de la Hougue, le 2 juin 1692.
A suivre…

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