samedi 27 juin 2015

27 juin 1905 : la mutinerie du cuirassé Potemkine



Si chacun connait le nom du navire et le titre du fameux film de Sergueï Eisenstein « Le cuirassé Potemkine », moins de gens pourraient donner la date des événements et le déroulement des faits. Le 27 juin 1905 éclatait à bord d'un cuirassé basé en mer Noire ce qui devait devenir l'un des prémices de la Révolution russe de 1917.

L'année 1905 a mal commencé pour les Russes et le régime de Nicolas II. La victoire japonaise du début de l'année a marqué les esprits et, dans l'armée, l'homme de troupe a compris que ses supérieurs n'étaient pas invincibles. Les conditions économiques sont désastreuses dans l'ensemble du pays. Selon certains, les meilleurs officiers et équipages de la marine impériale ont été envoyés en Asie ; il ne reste dans les eaux de la mer Noire que des troupes moins fiables. Les premières idées révolutionnaires ont commencé à circuler à terre bien sûr mais également sur certains bâtiments de la flotte. À bord d'un bon nombre d'entre-eux, se trouvent, principalement parmi les marins bien sûr, des partisans des idées nouvelles.

Le bâtiment
Le navire qui deviendra célèbre sous le simple nom de Potemkine porte en réalité celui de Kniaz Potemkin Tavricheskiy du nom d'un favori de Catherine II qui est à l'origine de la création de la flotte de la mer Noire. Il s'agit d'un cuirassé de 12 600 tonnes dont l'équipage compte environ 700 hommes. Il s'agit là d'un comme souvent dans la marine russe d'un équipage constitué de « non-marins », bien souvent des paysans enrôlés de force et ne disposant d'aucune qualification maritime. La construction du navire a commencé en 1898, il est entré en flotte en 1904.

Les faits
En juin 1905, le bâtiment se trouve en mer Noire pour des exercices. Il est commandé par le capitaine de vaisseau Ievgueni Golikov, réputé assez souple quant à la discipline. Le second, reconnu pour être plus autoritaire est le capitaine de frégate Guiliarovski. À bord se trouvent quelques marins convertis aux idées révolutionnaires dont le leader va se révéler être le quartier-maître torpilleur Afanassi Matouchenko Il ne leur manque qu'un prétexte pour agir et entrainer l'équipage dans la rébellion sociale en cours dans le pays. L'occasion leur est fournie par la viande livrée à bord le 26 juin. Certains marins remarquent alors que les quartiers dégagent une odeur nauséabonde et que de nombreux vers y sont visibles. À la demande du commandant alerté, le médecin du bord, le Dr Smirnov vient examiner la viande. Le résultat de son expertise est clair : la viande est apte à être consommée, les cuisiniers du bord peuvent l'utiliser. Ce qu'ils font dès le lendemain. C'est donc le 27 juin qu'elle est servie aux marins. Dans l'intervalle, la rumeur s'est répandue à travers le bord et l'ensemble de l'équipage refuse de manger. La tension monte entretenue par Afanassi Matouchenko assisté de Fiodor Mikichkine et Josef Dimtchenko. Le commandant après avoir fait rassembler l'équipage sur le pont tente une reprise en mains mais devant l'échec de celle-ci, il est demandé à un peloton armé de s'emparer des meneurs. Comme il était prévisible, les gardes armés passent du côté des mutins. Les événements se précipitent rapidement. Un meneur, Grigori Vakoulintchouk, s'est emparé d'une arme et tire en l'air. Le second le blesse en ripostant et est immédiatement abattu, vraisemblablement par Afanassi Matouchenko. Les tirs se multiplient ; le commandant et plusieurs officiers sont abattus, quelques autres parviennent à gagner à la nage le torpilleur qui navigue de conserve avec le cuirassé. Vakoulintchouk décéde rapidement.


Les choses s'organisent ; un « comité » est élu qui doit commander le navire. Sans surprise, on trouve Afanassi Matouchenko à sa présidence. Un officier en fait partie, le lieutenant de vaisseau Alexeev, auquel on décerne le titre théorique de commandant. Il n'a en fait aucun pouvoir. La grande question est de savoir quoi faire maintenant. La réponse est rapidement trouvée : « Cap sur Odessa ! ». Depuis quelques jours, la ville portuaire est fortement agitée par le mouvement social. De nombreux tirs sont entendus dans les rues ; on cite le chiffre de plusieurs centaines de morts. Grèves, émeutes et répression y règnent. L'arrivée d'un bâtiment de l'importance du Potemkine lourdement armé peut aider à amplifier la révolution. C'est en tous cas l'espoir de Constantin Feldmann, le leader révolutionnaire de la cité ukrainienne.


Le navire parvient en rade dans la soirée du 27 juin. Dès le lendemain, un contact est établi entre les « démocrates » du bord et ceux de terre, ces derniers menés par un étudiant nommé Constantin Feldmann. Un appel à l'insurrection est lancé. Discours politiques et affrontements violents et meurtriers entre forces loyalistes et progressistes se succèdent. Ce sera là pour Eisenstein l'inspiration de la scène fameuse de l'escalier. L'enterrement de Vakoulintchouk est, bien évidemment, lui aussi l'occasion de discours et d'échauffourées. Initialement rétif, l'équipage finit par admettre l'idée de tirs du Potemkine sur la ville afin d’impressionner les troupes ; le peu de tirs réalisés ne servira finalement à rien. Encore pire, le cuirassé et sa conserve, le torpilleur 267, vont être forcés de quitter le port ukrainien par l'arrivée d'une flotte envoyée depuis Sébastopol dans le but de rétablir l'ordre. Les navires rebelles parviennent à s'enfuir grâce au mutisme des canons des poursuivants que les servants ont refusé d'actionner. L'un des poursuivants, le cuirassé Gueorgui Pobedonossets, passe même temporairement du côté des rebelles. Ils sont donc maintenant trois bâtiments à avoir fait sédition ; ils gagnent ensemble le port d'Odessa. Les bâtiments restés fidèles retournant à Sébastopol. Le Potemkine et le torpilleur quittent Odessa qui est jugé trop risqué pour eux si une nouvelle flotte venait les attaquer.

La fin du voyage
Le 2 juillet (19 juin) 1905, cuirassé et torpilleur parviennent à Constanţa, en Roumanie, pour y charbonner et embarquer des vivres. Accessoirement, c'est l'occasion pour les révolutionnaires de lancer un appel au monde entier afin de faire triompher la révolution. Les autorités roumaines autorisent l'approvisionnement en vivres pour l'équipage mais s'opposent au ravitaillement du navire. Au contraire, le roi Carol 1er propose l'asile politique contre la reddition des mutins. Après un refus de la part de l'équipage et une errance de plusieurs jours en mer Noire, le cuirassé revient à Constanţa le 8 juillet contre l'avis de Matouchenko. Officiers et marins débarquent, certains déclarent avoir été gardés à bord contre leur volonté et regagnent la Russie à bord du torpilleur 267. D'autres restent en Roumanie. Un groupe d'irréductibles menés par Matouchenko saborde le bâtiment qui s'échoue à plat sur le fond.


Mais les aventures du navire ne sont pas terminées. Il est relevé par la marine impériale qui, voulant oublier le nom fâcheux, le rebaptise Panteleïmon (du nom du saint célébré le 9 août, jour de son arrivée à Sébastopol). Après une nouvelle révolution (aux résultats plus durables celle-ci), il retrouve en avril 1917 son nom abrégé et chargé de symboles « Potemkine » puisen mai 1917 , il prend celui encore plus symbolique de « Borets za Svobodou » qui signifie « Combattant de la Liberté ». il est intégré à la flotte rouge puis capturé par les Alliés en 1918. Il est sabordé par son équipage britannique en 1919 lors de l'évacuation de Sébastopol par les forces blanches. Il est relevé mais les dégâts sont irréparables. Certaines scènes du film auraient été tournées à son bord avant sa démolition en 1923.


Le sort des mutins
Après la décision en 1907 de Nicolas II d'amnistier les participants aux troubles de 1905, seuls cinq des mutins du Potemkine (parmi lesquels Matiouchenko) regagneront la Russie. C'était une mauvaise décision de leur part : Matiouchenko est pendu, les quatre autres sont déportés en Sibérie. Une soixantaine de marins rentrés en Russie sont jugés. Sept sont condamnés à mort, dix-neuf à la déportation en Sibérie et trente-cinq à vingt ans de prison. L'étudiant Constantin Feldmann est arrêté mais s'échappe vers l'Autriche et y rédige en aglais sa version des faits « The Revolt of the Potemkin ». Environ six cent marins sont autorisés à rester en Roumanie. Beaucoup en seront expulsés après des événements protestataires. Certains gagneront le Royaume-Uni puis le continent américain.




Le film
Le film de S. Eisenstein réalisé en 1925 qui donne une vue romancée de l'histoire sera considéré comme l'un des chefs d'oeuvre de la culture cinématographique stalinienne. Il donne l'impression que c'est la mutinerie du croiseur qui déclenche les événements à terre. Certaines scènes, comme celle de l'escalier où les civils sont massacrés et du landau qui dégringole les marches, furent entièrement imaginées par Eisenstein lui-même afin de marquer les esprits. La fin en particulier est arrangée pour ne pas montrer la réelle conclusion de la mutinerie. Libre de droits, il est visible ici (version originale - version sous-titrée en français).








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