Genève le 21 mai 2011 (Cliché par MHM55 - Wikimedia) |
À une époque où se développait le tourisme européen, il était nécessaire de créer des loisirs pour attirer aristocrates et riches européens sur les bords des lacs suisses. C’est pourquoi, de 1896 à 1927, douze bateaux furent livrés à la Compagnie Générale de Navigation pour naviguer sur le lac Léman. Ils répondaient aux critères de luxe, de confort et de richesse décorative attendus par une clientèle exigeante. Trois disparurent mais huit d’entre eux, aujourd’hui rénovés ou préservés, inscrits comme monuments historiques, constituent la plus grande flotte de navires historiques de la Suisse. Le premier de cette série n’a pas eu cette chance mais est encore visible à Genève, ville dont il porte le nom. Lancé en 1896, Genève est le plus vieux bateau à aubes encore à flot sur le Léman.
Commandé à la firme Sulzer de Winterthur (qui reçoit ainsi sa première commande pour le Léman), il doit être à la fois une réussite technique et esthétique. Les éléments de la coque sont construits à Winterthour, transportés pas train jusqu’au chantier de la compagnie à Ouchy. Les courses d’essai se déroulent au mois de mai 1896. Le pari est gagné : le nouveau venu est un grand bateau rapide (27 km/h), confortable et spacieux, aux lignes fines. Il est inauguré le 28 mai 1896 soit moins d’un mois après l’ouverture de l’exposition nationale qui se tiendra à Genève jusqu’en octobre.
Le 10 septembre 1898, à Genève en début d’après-midi, Elisabeth de Wittelsbach, Impératrice d’Autriche et Reine de Hongrie, plus connue sous le diminutif de Sissi, s’apprête à embarquer sur le bateau pour regagner son hôtel à Caux, au dessus de Vevey, lorsqu’elle est agressée par Luigi Lucheni, un anarchiste italien qui, à l'aide d'une fine lame si fine que le coup passe dans un premier temps inaperçu, la blesse au thorax, provoquant une plaie du coeur. Néanmoins parvenue à monter à bord, elle y perdra définitivement connaissance avant que le bateau fasse demi-tour et qu’elle soit ramenée à l’hôtel Beau Rivage où elle a séjourné la nuit précédente et où elle décédera rapidement à l’âge de soixante ans.
Un autre événement marquant la vie du bateau se déroule le dimanche 13 mai 1928. À 14 heures les deux bateaux de la CGN Rhône et Genève se présentent simultanément devant le port de Pully. En effet, le bateau Genève, venant de Lutry, a une dizaine de minutes de retard sur l’horaire en raison du débarquement anormalement long d’un grand nombre de passagers à l’escale précédente. Le Rhône venant dans la direction opposée est, selon la règle de la compagnie, prioritaire pour accoster. À la suite d’une mauvaise compréhension des signaux sonores échangés, les deux bateaux mirent en marche arrière mais les manoeuvres ne suffirent pas à éviter l’accident. Le grand mât avant du Rhône s’affaissa sur une passagère qui décédera quelques heures plus tard à l’hôpital de Lausanne. Deux autres personnes furent également contusionnées par la chute du mât. Les deux capitaines (M. Rauch du Rhône et Tauxe du Genève) furent condamnés à trois jours d’emprisonnement et à des peines financières.
Le bateau connaîtra plusieurs rénovations techniques ou de ses emménagements mais il faut citer celle qui en 1934 remplace ses chaudières par un moteur diesel électrique afin de rendre la navigation moins coûteuse. C’est une première qui sera répétée par la suite sur d’autres bateaux de la flotte CGN. À partir de 1970, le bateau sert de réserve en cas d’impossibilité pour un autre bâtiment de la flotte de naviguer et navigue jusqu’en 1971. En 1973, le Chablais est mis en service et Genève définitivement désarmé, sa réfection éventuelle n’étant pas économiquement justifiée.
Il occupera d’abord une place au débarcadère du Petit Pâquis puis deux ans plus tard au ponton de la Mouche, du côté des Eaux-Vives, sur le quai Gustave-Ador où il se trouve encore aujourd’hui. Il a été acquis en 1974 par l’Association pour le bateau Genève. À la tête de celle-ci deux pasteurs, Jean-Gabriel Favre et Alain Barde. Sa mission : la réinsertion et l’accueil matinal quotidien et la distribution de repas à de jeunes migrants ou des personnes à la rue, des personnages âgées aussi, ou fragiles. Ce sont ces passagers comme on dit ici qui participent à l’entretien du bateau. Mais le bateau est aussi ouvert à la location pour des événements privés.